Une écoute éclairée, perspicace et compatissante est un don pour les deux acteurs d’une conversation.
Écoutez mieux.
L’auteure Kate Murphy explique qu’alors que notre capacité d’attention se réduit, l’écoute réelle perd du terrain. Sa ligne de réflexion est la suivante : notre incapacité à écouter nourrit une épidémie de solitude et contribue à une polarisation croissante du débat politique aux États-Unis et partout dans le monde – mais vous pouvez répliquer par la concentration et quelques marques simples de politesse.
Plongeant dans l’art de la conversation, Kate Murphy, qui écrit pour le New York Times et The Economist, donne des conseils concrets de chercheurs en sciences sociales et d’experts en art de l’écoute, tels qu’un interrogateur de la CIA et des comédiens d’improvisation. Suivre ses conseils, qui ont été publiés avant la pandémie mais sont toujours d’actualité, pourrait vous aider à devenir un auditeur plus compatissant et plus attentif.
Malcolm Gladwell, Adam Grant, Susan Cain et Daniel Pink ont choisi le livre de Kate Murphy pour leur Big Ideas Club, tandis que le Washington Post l’a sélectionné en 2020 dans sa liste des Notable Work of Nonfiction [essais remarquables]. Lori Gottlieb, l’auteure de Tu devrais peut-être en parler à quelqu’un, l’a qualifié « d’ouvrage essentiel pour notre époque ». Le quotidien britannique The Guardian le considère comme « le manuel fascinant d’une discipline que nous pensons réaliser de façon automatique, mais que nous accomplissons généralement très mal ».
Une épidémie de solitude
Kate Murphy affirme que la vie moderne n’encourage pas à écouter attentivement. Selon elle, alors que notre capacité d’attention décline, les tweets, les sms, les mèmes et les emojis remplacent graduellement les interactions en face à face. Elle s’inquiète de ce que les gens, de nos jours, choisissent d’ignorer les opinions contraires et comptent sur Google pour trancher des débats au lieu de s’écouter les uns les autres.
Les gens avaient l’habitude de s’écouter les uns les autres, assis sous le porche d’entrée et autour de feux de camp, mais ils sont maintenant trop occupés ou trop distraits, pour explorer en profondeur les pensées et les sentiments d’autrui. (Kate Murphy)
Elle cite des psychologues et des sociologues qui décrivent une épidémie rampante de solitude. Kate Murphy note que l’isolement nuit davantage à la santé que fumer 14 cigarettes par jour, et que la solitude est liée à des problèmes de santé qui vont des maladies cardiovasculaires à la démence.
Écouter est une pratique active
Kate Murphy fait la distinction entre « écouter » et « entendre ». Si entendre est un acte passif, écouter réclame un effort actif, entrepris dans l’intention de comprendre le locuteur. L’auteure dévoile des recherches en IRMf qui montrent que lorsque vous vous prenez part activement à un échange, les ondes de votre cerveau ont le même tracé que celles de votre interlocuteur.
Kate Murphy explique en outre que la façon dont un enfant a été écouté donne forme à son style d’attachement une fois adulte. Ceux que leurs parents n’ont pas écoutés lorsqu’ils étaient enfants sont davantage susceptibles de développer « un attachement de type insécure-évitant » une fois adultes.
Kate Murphy rapporte que les voix que vous invoquez dans votre tête reflètent celles que vous avez entendues lorsque vous étiez petit ; ceux qui bénéficié plus tôt d’un attachement plus sécurisant ont des voix intérieures plus gentilles. Beaucoup de personnes qui se parlent de façon anxieuse et négative se sentiraient mieux si elles pouvaient faire taire leur voix intérieure. Kate Murphy suggère de s’aider d’une thérapie cognitivo-comportementale pour neutraliser ces messages d’autocritique.
Des points de vue contraires
Pour l’auteure, de bons auditeurs sont capables d’écouter des personnes dont les points de vue sont opposés au leur. Elle remarque que les étudiants se sentent parfois « mal à l’aise » lorsque des personnes expriment des vues opposées. Elle insiste toutefois sur le fait qu’écouter des points de vue différents permet d’humaniser ses interlocuteurs.
Kate Murphy comprend que les plateformes de réseaux sociaux, les jeux vidéo, les applications et les sites sont conçus pour pirater notre attention – qui a une valeur marchande dans l’économie d’aujourd’hui. Elle cite notamment une étude montrant que la capacité d’attention moyenne a chuté de 12 à 8 secondes depuis l’an 2000. Nous passons moins de temps à écouter la voix humaine. Kate Murphy remarque également que cette tendance incite certains auditeurs de podcasts à passer les émissions à double ou triple vitesse – ce que l’on appelle le podfasting.
Elle cite une autre étude suggérant que la présence d’un téléphone sur la table, même en mode silencieux, décourage les échanges constructifs, car chacun s’attend à être interrompu.
Apprivoiser le silence
Être plus à l’aise avec le silence, selon Kate Murphy, va souvent de pair avec le fait de se sentir plus assuré dans son statut socio-économique et dans sa relation à l’autre.
Écouter est un acte complexe qui engage de nombreux sens… la mécanique de l’écoute et la structure de notre oreille sont fragiles et il faut les protéger. (Kate Murphy)
Elle montre que hors des relations familières, laisser planer de longs silences dans une conversation tend à mettre mal à l’aise le locuteur, qui sera plus susceptible de changer son message pour le rendre agréable à l’auditeur. Kate Murphy a découvert que faire une simple pause de quatre secondes sera interprété par le locuteur comme une désapprobation, renforçant ainsi la possibilité qu’il change l’expression de ses idées. Elle conclut en expliquant que créer un espace confortable pour le silence incite à partager des informations plus authentiques.
Intégrité et personnalité
Écouter des commérages, affirme Kate Murphy, vous aide à développer votre sens de la morale et de l’éthique lorsque vous devez décider quel comportement est admirable et quel autre mérite une sanction sociale. Elle partage les travaux de l’anthropologue et psychologue évolutionniste britannique Robin Dunbar, qui pense que les ragots créent des alliances et maintiennent des liens interpersonnels.
Nous le faisons tous parce que les commérages nous permettent de juger qui est digne de confiance, qui nous voulons égaler, jusqu’où on peut aller et qui sont des alliés ou des adversaires probables. (Kate Murphy)
Kate Murphy cite aussi le philosophe du langage britannique Paul Grice, selon qui chacun attend de son interlocuteur la vérité, des informations nouvelles, un flux d’échange logique, de l’ordre et de la clarté. Elle encourage vivement à considérer l’attention que vous portez à une conversation comme un don : sachez distinguer ceux qui le reçoivent de ceux qui ne le reçoivent pas. Lorsque vous faites ce don d’écouter réellement une personne, vous pouvez vous attendre à de multiples gratifications, comme obtenir de meilleures informations et renverser la tendance qui consiste à accorder plus d’attention à des émojis de visage qu’à des visages humains.
Parmi d’autres ouvrages pertinents sur l’écoute et les interactions humaines, on trouve notamment Noise de Daniel Kahneman, Olivier Sibony et Cass R. Sunstein ; L’Art perdu de l’écoute de Michael P. Nichols et Martha B. Straus ainsi que I Hear You de Michael S. Sorensen.